25 novembre 2019 | Droit Pénal, Violences Conjugales
Tribune de Maître Pierre Farge publiée dans le Huffington Post
Enfin les conclusions du Grenelle sur les violences conjugales sont arrivées.
Enfin les pouvoirs publics ont pris conscience de ce que dénoncent toutes les associations de victimes et les avocats sur le terrain depuis plus de dix ans.
Enfin la justice fait son mea culpa et tire les conséquences des graves dysfonctionnements judiciaires face aux femmes mortes sous les coups de leur conjoint.
Enfin le chiffre de 138 féminicides depuis le début de l’année, soit 18 de plus qu’en 2018 sur une année encore non écoulée, va ralentir, et nous l’espérons un jour s’arrêter. Enfin une femme ne sera plus tuée en France tous les deux jours sous les coups de son conjoint.
C’est en tout cas dans cet esprit que 150.000 personnes participaient samedi à la Marche contre les violences faites aux femmes, organisée à Paris par le collectif #NousToutes.
En France, une femme est tuée tous les deux jours par son conjoint
Un état des lieux alarmant, confirmé par le rapport accablant du 17 novembre 2019 révélé par la Ministre de la Justice mettant très clairement en évidence les profondes défaillances du système judiciaire en matière de lutte contre les violences conjugales.
En effet, aujourd’hui, seulement 18% des mains courantes donnent lieu à investigation, et 80% des plaintes sont classées sans suite. Autant dire, un taux extrêmement faible de poursuites effectives après des faits de violences conjugales, qu’elles aient ou non entraîné la mort.
Des paroles, mais surtout des actes!
Maintenant que ces conclusions sont intervenues, il est indispensable que les paroles laissent place à quatre actions de l’après Grenelle.
1) À commencer par l’inscription du féminicide dans le Code pénal, une mesure demandée par l’ONU des Femmes à la France, et plaidée par notre Collectif depuis le premier jour, notamment dans Le Monde.
2) Sur cette nouvelle base, il est indispensable de garantir une meilleure prévention par la formation des policiers et gendarmes aux violences conjugales, la mise en place de protocoles de prise en charge des victimes, ainsi que la transmission systématique des plaintes et mains courantes à un juge.
3) Dans ce sens, sur le modèle des mineurs victimes de violences, systématiser la levée du secret médical, permettant à tout professionnel de santé, même en cas de refus de la victime, de signaler des faits de violence conjugale, facilitant ainsi la détection de femmes en danger vital.
4) D’un point de vue strictement judiciaire, se battre pour raccourcir les délais d’audiencement.
Il n’est en effet pas raisonnablement possible de donner une date d’audience à six mois, ou plus, à une femme ayant quitté, avec ses enfants, en urgence, et en général sans ressources, le domicile conjugal aux fins d’obtenir une mesure d’éloignement du conjoint violent.
Comme en ont témoigné les instructions du gouvernement de raccourcir drastiquement les délais dans le cadre du Grenelle, cette ambition relève de la volonté politique d’imposer des délais restreints aux présidents de juridictions sur tout le territoire français.
En témoigne par exemple l’instruction donnée à la juridiction-pilote de cette réforme, à savoir le Tribunal de grande instance de Créteil, connaissant initialement devant le JAF des délais d’audiencement de plusieurs mois, tout d’un coup ramenés à 10 jours pour obtenir une date d’audience, et 8 jours supplémentaires pour mettre à disposition son jugement. Preuve que cette réduction des délais est donc possible.
Enfin, rendre cet éloignement effectif en garantissant le relogement de l’agresseur par le biais de programmes publics et associatifs, au risque sinon de voir ce dernier revenir chez sa victime, qui en général fragilisée ne voit d’autre possibilité que de rouvrir sa porte.
Ce plan d’action progressif est clair, parfaitement réalisable, et donc applicable dès demain.
Pierre Farge Avocat,